Napoléon, l'Égyptienne & le sang-mêlé
Roman de Stéphane d'Arc
Bonaparte devint rouge, non de confusion mais d'une colère contenue.
— Qu'est-ce que c'est que ça ! hurla-t-il ; que veut-on que j'en fasse ? Il fallait les laisser là où ils étaient.
Qu'on les amène devant la plage !
Les deux aides de camp baissèrent les yeux. L'un des deux, dont j'appris plus tard qu'il était le beau-frère de Bonaparte, marmotta : "Mais c'est qu'ils sont trois mille." Et Bonaparte explosa : "Fussent-ils dix mille, que voulez-vous que j'y fasse ?"
Comment une telle chose fut-elle même pensable et possible ? Il ne s'agissait pas d'une exécution, mais d'exterminer trois mille hommes. Trois mille hommes ! des soldats ! Ce n'était certes pas une décision saine, militaire, mais entachée de quelque folie. Je n'arrivais pas à croire que ça allait arriver. À tout instant je l'imaginais donner un contre-ordre.
Je ne tiens pas à paraître présomptueuse, mais je pense néanmoins que le véritable objet de sa colère — et qu'il n'avait pu libérer pendant des mois — n'était autre que moi, et qu'il s'était servi de ces prisonniers comme d'un horrible exutoire ; peut-être aussi pour se prouver, pour me prouver, et pour prouver aux autres qu'il était le chef absolu. Je sais ce que cette accusation a de grave, elle a été suffisamment difficile à penser pour moi, mais j'ai bien peur qu'elle ne soit tout à fait vraie, et traduise un comportement typique chez Bonaparte.