Napoléon, l'Égyptienne & le sang-mêlé
Roman de Stéphane d'Arc
[...] De loin je l'aperçus, assis sur un canon, discutant amicalement avec un de ses généraux, que je reconnus pour un des proches du commandant en chef. C'était Lannes. Ce fut lui le premier qui me vit. Bonaparte qui observait Lannes ne tarda pas à se détourner dans ma direction. Son visage devint brusquement sombre. J'avançai vers lui. Lannes partit rapidement, sans que Bonaparte ait eu à ouvrir la bouche. Mes jambes se mirent inexplicablement à flageoler. Ses traits étaient fixes, d'une inquiétante immobilité. Je n'avais pas oublié qu'en public, toute manifestation affective était exclue. Peut-être après tout étais-je aussi froide que lui sans m'en apercevoir. Nous nous tenions l'un devant l'autre sans sourciller. Il était toujours assis. Notre silence, contrastant avec le florilège des bruits mili-taires autour de nous, était d'une insondable pesanteur. J'aurais voulu parler ; aucun son ne parvenait à franchir mes lèvres. Deux officiers me sauvèrent involontairement. Ils s'adressèrent à Bona-parte. On ne les avait pas vus venir.
Ils déclarèrent qu'environ trois mille hommes s'étaient réfugiés dans une sorte de caravansérail ; ils avaient promis de se rendre si on leur laissait la vie sauve, dans le cas contraire ils combattraient jusqu'à la mort. Les deux aides de camp leur avaient assurés qu'ils vivraient. À une centaine de mètres devant nous, une file ininterrompue de captifs s'approchait.