Napoléon, l'Égyptienne & le sang-mêlé
Roman de Stéphane d'Arc

[...] Le 2 février je débarquais sous une pluie battante à la Roche-sur-Yon. Le navire qui m'avait déposée repartit immédiatement sur la mer tempétueuse. Des hommes m'attendaient, apparemment intrigués de voir se présenter devant eux une femme étrangère en guise d'espion anglais. Sans un mot, après un court salut nous marchâmes rapidement. On me fit monter dans une voiture. Cette dernière s'arrêta après une demi-heure de route. Je me penchai. Le temps ruinait toute visibilité. Des domestiques apparurent et m'abritèrent pour ensuite me laisser seule dans un hall au plafond haut, très sobre, sans la moindre trace d'apparat.

Je suis alitée. Impossible de me lever sans avoir des vertiges et des maux de tête terribles. Relisant le récit que je viens d'entamer au sujet d'une conspiration royaliste sur Napoléon, je me demande si je dois poursuivre, s'il ne vaudrait pas mieux que je fasse un saut dans le temps, en me retrouvant le 16 février 1803, le jour où je le revis. Depuis quelques jours que je suis très malade, j'ai cessé de prendre toute boisson alcoolisée, sauf le soir pour m'endormir. Cela me rappelle que j'ai pris le goût du whisky en Angleterre, et que depuis je m'en fais parvenir par con-trebande ; Bonaparte apprendrait cela qu'il me tuerait ; mais enfin si cette guerre économique cessait depuis plus de dix ans qu'elle dure, nous aurions enfin du véritable sucre et du whisky ; comme je n'ai jamais assez de ce dernier je le remplace par du cognac, un feu bienfaisant et apaisant. J'ai en ce moment une difficulté énorme à me concentrer et à écrire correctement ; je ne vais donc retracer cette période d'errance qu'en quelques lignes.

Je n'eus pas le moindre remords à quitter Wintorpe. Il m'avait fait éprouver l'ennui et la désolation, et puis il était après connaissance définitivement faible. Il ne geignait qu'après une chose, son anoblissement.