Fanfan la tulipe
Emile DEBRAUX (1796-1831)

Chanson (sur un air du XVIIIème siècle).

Comme l'mari d'notre mère
Doit toujours s'app'ler papa,
Je vous dirai que mon père
Un certain jour me happa,
Puis me m'nant jusqu'au bas de la rampe
M'dit ces mots qui m'mirent tout sens d'ssus d'ssous :
« J'te dirai, ma foi, qui gnia plus pour toi
Rien chez nous, v'là cinq sous,
Et décampe! »

En avant,
Fanfan la Tulipe,
Oui, mill' noms d'un' pipe,
En avant !

Puisqu'il est d'fait qu'un jeune homme,
Quand il a cinq sous vaillant,
Peut aller d'Paris à Rome,
Je partis en sautillant.
L'premier jour j'trottais comme un ange
Mais l'lend'main je mourais quasi d'faim.
Un r'cruteur passa qui me proposa,
Pas d'orgueil, j'm'en bats l'œil,
Faut que j'mange

Quand j'entendis la mitraille,
Comm' je r'grettais mes foyers !
Mais quand j'vis à la bataille
Marcher nos vieux grenadiers ;
Un instant nous somm's toujours ensemble,
Ventrebleu ! me dis-je alors tout bas :
Allons, mon enfant, mon petit Fanfan,
Vite au pas, qu'on n'dis' pas
Que tu trembles 

En vrai soldat de la garde,
Quand les feux étaient cessés,
Sans r'garder à la cocarde,
J'tendais la main aux blessés ;
D'insulter des hommes vivant encore
Quand j'voyais des lâches se faire un jeu,
Quoi ! Mille ventrebleu ! Devant moi, morbleu !
J'souffrirais qu'un français
S'déshonore !

Vingt ans soldat, vaill' que vaille,
Quoiqu'au d'voir toujours soumis,
Un' fois hors du champ d'bataille
J'n'ai jamais connu d'enn'mis.
Des vaincus la touchante prière
M'fit toujours voler à leur secours ;
P'têt' c'que j'fais pour eux, les malheureux
L'f'ront un jour à leur tour
Pour ma mère 

A plus d'un' gentill' friponne
Maintes fois j'ai fais la cour,
Mais toujours à la dragonne,
C'est vraiment l'chemin l'plus court.
Et j'disais quand un'fille un peu fière
Sur l'honneur se mettait à dada :
N'tremblons pas pour ça, ces vertus-là
Tôt ou tard finiss'nt par
S'laisser faire :

Mon père, dans l'infortune,
M'app'la pour le protéger ;
Si j'avais eu d'la rancune,
Quel moment pour me venger !
Mais un franc et loyal militaire
D'ses parents doit toujours être l'appui :
Si j'n'avais eu qu'lui je s'rais aujourd'hui
Mort de faim ; mais enfin
C'est mon père 

Maintenant je me repose
Sous le chaume hospitalier
Et j'y cultive la rose,
Sans négliger le laurier,
D'mon armur' je détache la rouille.
Si le roi m'app'lait dans les combats,
De nos jeun's soldats guidant les pas,
J'm'écrierais : j'suis français !
Qui touch' mouille.