Le squelette laboureur
Les fleurs du mal (1861)
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

    I 
    
    Dans les planches d'anatomie 
    Qui traînent sur ces quais poudreux 
    Où maint livre cadavéreux 
    Dort comme une antique momie, 
    
    Dessins auxquels la gravité 
    Et le savoir d'un vieil artiste, 
    Bien que le sujet en soit triste, 
    Ont communiqué la Beauté, 
    
    On voit, ce qui rend plus complètes 
    Ces mystérieuses horreurs, 
    Bêchant comme des laboureurs, 
    Des Écorchés et des Squelettes. 
    
    II 
    
    De ce terrain que vous fouillez, 
    Manants résignés et funèbres, 
    De tout l'effort de vos vertèbres, 
    Ou de vos muscles dépouillés, 
    
    Dites, quelle moisson étrange, 
    Forçats arrachés au charnier, 
    Tirez-vous, et de quel fermier 
    Avez-vous à remplir la grange ? 
    
    Voulez-vous (d'un destin trop dur 
    Épouvantable et clair emblème !) 
    Montrer que dans la fosse même 
    Le sommeil promis n'est pas sûr ; 
    
    Qu'envers nous le Néant est traître ; 
    Que tout, même la Mort, nous ment, 
    Et que sempiternellement, 
    Hélas ! Il nous faudra peut-être 
    
    Dans quelque pays inconnu 
    Écorcher la terre revêche 
    Et pousser une lourde bêche 
    Sous notre pied sanglant et nu ?



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Le squelette laboureur est un extrait du livre "Les fleurs du mal (1861)" - CLE

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